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La mise en scène était parfaite


Plus de 3000 journalistes accrédités. Une opération spéciale « Radio France fait le mur », en direct pendant 24 heures depuis Berlin. Des hordes de policiers, de cameramen et de touristes, drapés des couleurs de l’Europe et célébrant la «chute du communisme»… Bienvenue à Berlin, où, le 9 novembre dernier, furent fêtés les vingt ans de la chute du mur de Berlin.


Comédiens jouant les soldats alliés à Check-Point Charlie ; douaniers soviétiques à la porte de Brandenburg, miradors placés à côté des anciens poste-frontière de la Bernauerstrasse, morceaux de polystyrène bon marché sponsorisés par la Lufthansa, EasyJet, Allianz (……) et placés en rang d’oignon à partir de la Potsdamer Platz pour être symboliquement renversés ; décorations dans le métro (mini-portes de Brandebourg) ; montgolfières barrées du journal « politique » du groupe Springer ; dispositif policier impeccable… À Berlin, la mise en scène de la «chute du communisme» et de victoire de la «liberté» était parfaite.


Moi aussi, j’avais envie de fêter le capitalisme, fêter la démocratie, fêter la fin de la Stasi. Je suis allé à Berlin, avec ma boite à images. J’ai rencontré des travailleurs à 1,50 euros, des chômeurs dans le lot de 17% de Berlinois sans emploi, des quartiers populaires en voie de gentrification par la grâce des artistes et des agents des Job Center berlinois. Autour de la porte de Brandebourg, j’ai vu des touristes, des Allemands de l’Ouest, propres sur eux, des Français, regardant bouche grande ouverte des plaques de polystyrène tomber symboliquement. J’ai vu des gens qui ont connu le communisme et qui sont repartis de ce cirque en claquant la porte. Celle des débats de Radio-France, la radio aux 14 millions d’auditeurs qui convoquait, une fois n’est pas coutume, des philosophes (BHL), des géopoliticiens d’épouvante (Bernard Guetta), des chiens-truffiers (Nicolas Demorand), des politiques aussi. Peu d’Allemands. Beaucoup de Français. Un regret : l’absence d’Alain Finkielkraut, trop occupé à commenter les polémiques franco-francaises. On ne peut pas être partout.


Avec leurs mots à eux, les commentateurs et leurs invités dépêchés sur place disent le bonheur dans lequel nage l’Europe depuis la « chute du communisme » :

- « Quand j’entends qu’aujourd’hui, fêter la chute du mur ce serait fêter le capitalisme, ce serait fêter la pensée unique, je crois qu’on est déjà en train de vivre un contre-coup de propagande et un petit reste de révisionnisme qui va sûrement se développer dans les années à venir, et on y reviendra…» (Caroline Fourest, chroniqueuse au Monde et à France Culture, Radio-France, 9.11.09)


- « Moi je ne sais pas où ils sont d’ailleurs, les « ultralibéraux » (Alain-Gérard Slama, éditorialiste, Le Figaro, Radio-France, 9.11.09)

- « L’Allemagne de l’est, c’était l’antichambre de la mort » (BHL, Radio France, 9.11.09)

- « Radio France se mobilise depuis Berlin, pour fêter 20 ans de liberté » (jingles de Radio France)

- « À l’époque [du départ des troupes d'occupation de Berlin-Ouest], moi je me suis quand même pris dans le métro un "Franzosen Raus", les Français dehors, que je n’ai pas trouvé de très bon aloi. Et ces troupes qui partaient, dans l’esprit de certains, je pense que c’était un peu une histoire qui remettait les compteurs à zéro et, euh, toutes les bouffées nationalistes qu’il y a ici ou en France ne sont jamais bonnes. » (Jean-Yves Cendrey, écrivain, France Info, 6.11.09).

- « Des militants anticapitalistes (…) un discours très rôdé (…), ici une très petite minorité, les Ostalgiques comme on les appelle, regrettent la RDA » (Marina Bertsch, journaliste à France 24, 8.11.09)

- « Wir sind Brüher, wir sind Berlin ! » (« Nous sommes du bouillon, nous sommes Berlin ! ») (Nicolas Sarkozy, 9.11.09).


Les commentateurs ont commenté.


Et puis j’ai rencontré des habitants de Berlin. Avec leurs mots à eux, ils m’expliquent cette liberté dont ils auraient hérité :


- « La chute du mur, oui, c’était il y a vingt ans. » (Dietter, 60 ans, ouvrier du bâtiment né à Berlin est)

- « Il faut voir comment on se gavait. On avait logements de fonctions, magasins à prix préférentiels, soins, piscine, école franco-allemande, transports gratuits… en plus des salaires versés par l’armée, bien sûr. Chacun vivait entre nationalités dans sa petite cité. Moi c’était Foch. On pouvait aller à l’est quand on voulait. Il suffisait d’aller en faire la demande et ça prenait une semaine. C’est tout. Franchement, ça ne m’étonne pas que les Allemands en avaient assez des occupants. » (Virginie, fille d’adjudent-chef Nantais en poste à Berlin-Ouest de 1984 à 1989. Elle vit aujourd’hui dans la capitale allemande)

- « À Berlin, ils ont tout fait pour rejouer la dramaturgie communiste. De toute façons, c’est toujours l’Ouest qui donne sa version. L’Est n’a jamais sa voix au chapitre » (John, un photographe de l’AFP qui fait le mur devant l’hôtel Westin pour que des touristes viennent casser un bout du mur, pour 18 € avec curry-wurst et champagne inclus).

- « Le contrôle des pauvres et des chômeurs est quelque-part une dictature, puisque pour pouvoir continuer à toucher les allocations, les chômeurs comme nous doivent accepter des boulots payés 1,50 € de l’heure. On ne choisit pas ce système, on tombe dedans, c’est tout. » (Marion, balayeuse du cimetière Saint Thomas à 1,50 € de l’heure, dans le quartier de Neukölln, dans le sud-est de Berlin)

- « À l’époque, à l’est, il y avait des usines de papier, et bien d’autres fabriques encore. Tout ça est fini. Kaput! On avait aussi un sens du collectif, même si on était surveillés : on était tous logés à la même enseigne et ce qui appartenait aux uns appartenait à tous ! On vivait. Aujourd’hui, toute ma famille est au chômage, on leur impose des jobs à 1 euro de l’heure et à part ça il parait qu’on va tous faire la fête le 9 novembre ! Pas nous! » (Dietter et Tommy, 45 et 60 ans, ouvriers du bâtiment et Berlinois de l’est).

- « La liberté acquise en 89 est celle de la concurrence et du marché. Le capitalisme ne fonctionne que s’il n’a pas de point de stabilité. Il faut le renverser comme le mur l’a été. » («Marlies Sommer», porte-parole de Ums Ganze, alliance de groupes « anticapitalistes », seuls à manifester à Berlin contre la « fausse liberté » acquise et la « fin de l’histoire ». C’était le 7 novembre dans le « mite » berlinois. Résultat : Des dizaines de policiers anti-émeutes et une arrestation).


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