Après de longs mois de travail, beaucoup de marées hautes et basses, beaucoup de rencontres et beaucoup de soutien*, je suis heureux de vous annoncer la diffusion de mon premier film documentaire de 52 minutes, réalisé grâce à Annie Gonzalez, de C-P Productions et à Emma Orselli de Luna Blue Film. Il a été diffusé le 4 novembre 2023 sur la RTBF (cliquez ici) et le 12 septembre 2024 sur France 3 Hauts-de-France (cliquez ici ou ici pour le voir en “replay”).
“Sans queue ni tête, décorticage d’une crevette grise” est comme une bobine de fil de pêche que l’on déroule depuis l’armoire à trophées de Nicole Vanzinghel, décuple championne du monde de décorticage de crevettes grises à Leffrinckoucke (Nord). Ou plutôt comme un filet à planche que l’on pousse patiemment jusqu’en Hollande, d’où proviennent l’écrasante majorité des “grenades” pêchées en mer du Nord. On racle les fonds de l’industrie hollandaise avant de prendre le ferry à Algeciras, direction Tanger où plusieurs dizaines de milliers de femmes décortiquent chaque jour les quelque 30 à 50 000 tonnes de crevettes pêchées par les deux leaders de ce tout petit marché réservé aux Belges et aux habitants maritimes du Nord. On essaie de créer une sorte d’Internationale des décortiqueuses, mais échouons piteusement devant cette tâche pourtant à notre hauteur : convier pour un vrai championnat du monde de décorticage les plus qualifiées, à savoir les ouvrières des pays qui ont servi d’atelier aux entreprises hollandaises. Fin des années 1980, les industriels hollandais organisent la sous-traitance dans le bloc de l’Est : Lituanie, Pologne, Roumanie, Ukraine… Fin des années 1990, toutes les entreprises hollandaises se rapatrient sur un pays fraichement démantelé par le FMI et la Banque Mondiale : le Maroc.
Le championnat du monde idéal serait celui qui verrait s’affronter les Marocaines, les Belges, les Françaises, les Hollandaises, les Polonaises, les Ukrainiennes, les Roumaines et les Lituaniennes. Comme une phase finale des ouvrières de la délocalisation du décorticage. Mais au dernier moment, les Hollandaises ont annulé et les problèmes de visa depuis le Maroc ont achevé de nous convaincre de renoncer à notre projet grandiose. Pas grave, nous avons quand même réalisé un film qui tisse un fil entre les décortiqueuses, celles dont on peut dire qu’elles exercent un des métiers les plus répétitifs au monde : près de 20 000 crevettes par jour pour Fatima C**.
Sans queue ni tête, décorticage d’une crevette grise a été diffusé le 12 octobre 2023 au cinéma Le Studio 43 à Dunkerque, en mai 2023 au festival de documentaires de Lasalle (Cévennes), en novembre 2023 au Quesnoy (avec Cinéligue) puis en mai 2024 au bistrot du port de Grimbergen près de Bruxelles à l’occasion d’une journée dédiée à la “civilisation de la crevette”. Il sera également diffusé à la médiathèque de Loon-Plage le 15 novembre à 18 heures, projection suivie d’une discussion avec le public.
Notes
*Le film a reçu la bourse Brouillon d’un rêve de la Scam ainsi que les aides du Centre National du Cinéma et de l’image animée (CNC), du Centre du cinéma et de l’audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, de Pictanono, des régions Hauts-de-France et Occitanie, de France 3 Hauts-de-France ainsi que de la télévision belge RTBF.
** Lire Les exploitées de la crevette, CQFD, mai 2023. Le lien est ici. Lire ou relire également “Au championnat du monde de décorticage de la crevette délocalisée”, paru en mai 2018 dans le mensuel du chien rouge. le lien est ici.
Sans queue ni tête, décorticage d’une crevette grise (52’, C-P Productions, Luna Blue Films) est d’ores et déjà disponible sur le site de France Télévision en cliquant sur ce lien ou en tapant cette adresse dans votre navigateur : https://ftvpro.francetv.fr/contenu-de-presse/68238669
Ou bien celle-ci (lien disponible jusqu’au 10 octobre) :
https://www.france.tv/documentaires/documentaires-societe/6450506-sans-queue-ni-tete-decorticage-d-une-crevette-grise.html
Il sera diffusé le jeudi 12 septembre 2024, à 22h50, sur la chaine de télévision France 3 Hauts-de-France.
Dans la liste des primaires précédant l’élection présidentielle américaine de 2024, la Caroline du Sud attirera tous les regards en février prochain. Côté démocrate, la victoire du président Joseph Biden paraît acquise ; côté républicain, le scrutin dans cet État conservateur devrait sceller le sort des concurrents de M. Donald Trump. Seul problème : une majorité des Américains ne veut ni de l’un ni de l’autre…
À l’occasion de la campagne électorale pour les élections présidentielles américaines en novembre 2024, Le Monde diplomatique m’a envoyé en Caroline du sud afin de dresser le portrait social et politique de cet État conservateur à la veille des primaires.
Reportage à retrouver en kiosques dès le 1er janvier ou en cliquant ici.
Photo du groupe dunkerquois Idiot Saint Crazy Orchestra, Dunkerque, juillet 2023
“À peine pêchées dans la mer du Nord que les crevettes grises prennent la
route des usines marocaines. Là-bas, elles sont décortiquées par des
milliers de femmes qui se gèlent les doigts pour un salaire de misère.
Avant que les entreprises européennes ne les rapatrient pour nous les
vendre au prix fort.”
En mai 2023 est paru dans le mensuel CQFD le second volet papier de mon enquête sur les crevettes grises, intitulé Les exploitées de la crevette.
Cinq ans plus tôt, en septembre 2018, je publiais le premier volet de cette enquête, Au championnat du monde de la crevette délocalisée :
“Combats de coqs, concours d’épluchage de pommes de terre ou trophées
d’empiffrage de plats caloriques : le département du Nord est friand de
compétitions stimulantes et innovantes. Parmi elles, une course de
vitesse méconnue – le championnat du monde de décorticage de crevettes
grises. Mais derrière cette épreuve hautement sportive se cachent des
intérêts un peu moins pittoresques.”
Jeudi 23 mars 2023. Dunkerque. Il est 15 heures. Au bout du bout du long cortège de manifestants, un camion de location trimballe un géant. C’est Roge (1), un docker qui porte sur son dos un sac de sucre, de sable, de céréales peut-être. Le regard vengeur, sûr de sa force, il avance mâchoire serrée, encadré par des jeunes dockers en chasuble orange portant une grande banderole avec l’inscription « Contre le passage en force du gouvernement. Respect du peuple français ». Sur leur dos, on lit l’inscription « Dockers Dunkerque ».
Les slogans ont changé mais pour la première fois en 31 ans, les dockers de Dunkerque ont fait grève (2). Le matin, dès 6h00, ils bloquaient plusieurs accès au port-ouest - la machine à cash du port, là où CMA-CGM gère les conteneurs. « Cinquante fourgons de police, t’imagines ? dit un docker. À six par camion, je te laisse calculer l’invasion policière… Nous, on était une juste une soixantaine… Aucun n’a enlevé son casque, ils étaient là pour le combat, mais ils avaient peur de nous. »
J’ai suivi les dockers une partie du cortège. Ils alternaient entre émotion de rebattre le pavé de nouveau, sensation de faire quelque-chose d’historique, et volonté d’affronter les soldats de Macron, là, juste devant, casqués, suréquipés, en armes, prêts au combat. Longtemps que la cité du Nord n’avait pas connu une telle abondance policière. « Eux, ils ont une retraite à 57 ans, donc ils sont pas concernés ! Je comprends, tu peux pas faire CRS jusqu’à 64 ans. T’imagines si les flics avaient 64 ans, ils pourraient plus nous courser. Leur métier, il est physique. Mais pourquoi eux ne comprennent pas que nous, c’est pareil et qu’on a raison de se battre contre Macron ? » Deux ouvriers métallos lancent aux flics « Venez avec nous ». Repris par personne.
16 heures. Dès les premières courtoisies entre policiers et dockers, le secrétaire général du syndicat, Franck Gonsse (élu en bonne place sur la liste de droite aux dernières élections régionales dans les Hauts-de-France, bref) sort le mégaphone et enjoint ses troupes à quitter le guêpier. Qu’à cela ne tienne, les dockers veulent savoir ce qui se cache derrière ces casques (qu’ils ont sûrement déchargé quand ils sont arrivés en France par conteneur). Les troupes sont forcées d’avancer, la tête de la manifestation est déjà loin, déjà au Mynck, presque déjà à la place Jean Bart.
Un deuxième porte-mégaphone du syndicat hégémonique chez les dockers de la ville, la CNTPA, se met à hurler contre les dockers, qui iraient bien à la bagarre. « Mettez vous en rang putain, les dockers vous faites chier, vous arrêtez maintenant, on rejoint la manifestation maintenant ! » Tony (3) nous demande : « T’as peur ? T’as peur d’eux ? Si t’as peur, t’es battu. Nous on aime bien la bagarre. » Un de ses collègues s’avance vers un CRS, lui parle à trois centimètres de sa visière et avance, en levant les mains. Lutte symbolique pour un territoire occupé par une soixantaine de Robocops armés de Flashball et de grenades lacrymogènes. Les CRS défendent ardemment la Communauté urbaine de Dunkerque. Contre la montée des eaux ?
Sur le parvis, un manifestant lance trois tulipes en direction de la rangée de flics, qui ripostent et embarquent l’impétrant en arrosant la foule d’un gaz si puissant qu’il nous a scotché les paupières pendant plusieurs longues minutes. Un autre ouvrier de la CGT est embarqué après avoir jeté un objet dangereux, style chewing-gum ou crayon de bois (4). Les deux ouvriers sont restés toute la nuit dans les geôles dunkerquoises. Deux autres dangereux marcheurs se feront embarquer pour avoir soit hurlé des noms d’oiseaux du coin, soit lancé des quolibets sur la rangée de casqués, digne d’une BD d’Uderzo. La République est sauve. « Victoire », avait dit Elisabeth à la sortie du parlement le jour de l’utilisation de l’article 49 ALINEA 3. Pas vu à Dunkerque depuis… 1992 ?
Voici quelques images.
1. En référence à Roger Gouvart, secrétaire du syndicat CGT de 1968 à 1983 ?
2. Lire à ce sujet l’enquête parue dans La Disparition en 2022.
3. Le prénom a été modifié.
4. Après 26 heures de garde à vue éprouvante (et l’apparition de nombreux hématomes sur le corps), Greg, un des militants CGT, a finalement été relâché. Il sera jugé le 10 mai pour avoir prétendument agressé pas moins de quatorze CRS armés comme des astronautes.
Nouvelle rubrique sur le site : Tirages photographiques.
Si vous souhaitez commander un tirage couleur ou noir et banc, de 20x30 à 60x90, encadré ou non, toutes les photos de ce site sont disponibles.
Pourquoi le Bâtiment central de la main d’œuvre de Dunkerque a-t-il subitement disparu ? Pourquoi les dockers n’y ont pas fait grève depuis 1992 ? Et que viennent faire les bananes dans cette histoire ? « La disparition de la grève », c’est un courrier à lire dans le quinzomadaire La Disparition, en s’abonnant ici.
Du 6 novembre 2021 au 8 janvier 2022, j’ai l’honneur d’exposer, à la médiathèque Lambézellec de Brest, quinze tirages couleur issus de mon travail photographique sur les dockers de Dunkerque - travail initié en 2010 et repris en 2021 pour Le journal épistolaire La Disparition dans le cadre de deux “courriers” sur la “disparition” du Bâtiment central de la main d’œuvre (BCMO) de Dunkerque, la maison des dockers, bulldozérisée sans état d’âme en 2004 (les courriers seront publiés en 2022). L’arrière-fond de ce travail photojournalistique est la paix sociale miraculeuse qui règne sur les docks dunkerquois depuis 1992, année-pivot au cours de laquelle les dockers de Dunkerque ont abandonné à la fois leur statut d’intermittents et la grève.
- Exposition accessible gratuitement aux horaires d’ouverture de la médiathèque de Lambézellec, 8 rue Pierre Corre, à Brest (02 98 00 89 40). Lien vers le site des médiathèques de Brest, ici.
- Table ronde le 3 décembre à 18h30 à la bibliothèque François Mitterrand - Les Capucins.
- Tirages en vente, pour voir la série complète, cliquez ici. Pour acheter un tirage, veuillez me contacter via la rubrique Contact.
- Pour réaliser son “numéro zéro”, l’équipe de La Disparition (LD - nouveau média épistolaire dont titre fait référence au livre éponyme de
Georges Perec paru en 1969), m’a demandé d’écrire une lettre-reportage sur le métier de camionneur, premier métier dans la majorité des États américains. Le principe de ce nouveau journal, qui prend la forme d’un courrier papier écrit au lecteur,
est de chroniquer tout ce qui est en train de disparaitre, afin de
“faire l’inventaire d’un monde finissant pour construire demain”. Le
récit, fictionnel ou non, est accompagné d’une carte postale, d’un Nota bene et même de mots croisés. C’est un honneur pour moi d’avoir réalisé ce premier courrier - continuité de deux reportages parus dans Le Monde diplomatique en 2018, ici et ici). Pour recevoir les lettres de La Disparition, il suffit de s’y abonner, ici.