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La cité des dockers jaunes

Une paix sociale miraculeuse règne dans le port de Dunkerque : alors que les compagnies privées ont pris les commandes et divisé par quatre les effectifs, les dockers n’ont pas fait une minute de grève depuis dix-huit ans. Un cas quasi-unique dans les annales de la profession, réputée partout ailleurs pour sa résistance énergique aux « réformes ».


À Dunkerque, troisième port de France, chaque pavé garde en mémoire les luttes sociales des ouvriers portuaires, les dockers, que la presse qualifie de « grandes gueules, illettrés, pue-la-pisse et autres bras cassés » (L’Évènement du Jeudi, 20/8/1992). Ces esclaves, souvent illettrés, qui arrachèrent chaque jour leur pain en levant leurs cartes G au rez-de-chaussée du Bureau central de la main d’œuvre (BCMO), pendant toute la période d’après-guerre, sont passés du statut de quasi autogestion ouvrière (monopole de l’embauche par le syndicat CGT) à celui de subordination totale aux entreprises privées, qui se partagent le gâteau et gèrent les effectifs. En moins de vingt ans, les dockers de Dunkerque, par la voix de leur syndicat hégémonique, la Chambre syndicale des ouvriers portuaires mensuels et intermittents (CSOPMI), ont finalisé leur conversion des luttes sociales au réalisme économique. Celui des chiffres de tonnage, de la précarité, de la minoration des dangers du travail au profit de la hausse des bénéfices des entreprises de manutention.


Le statut d’intermittent, concocté après la guerre 1939-1945 par le Parti communiste, a été cassé en 1992 par la réforme portuaire concoctée par Jean-Yves Le Drian et Michel Delebarre, maire « socialiste » de Dunkerque de 1989 à 2014. Les dockers sont devenus des salariés d’entreprises privées en concurrence. Ce « libre jeu », c’est ce que Bernard Gouvart, fils du « héros prolétarien » dunkerquois, Roger Gouvart - ex-secrétaire de la CGT des dockers (1968-1983) - a signé, en faisant sécession avec la CSOP-CGT. C’était en 1992. Une période faste pour la décomplexion libérale. Le début de la fin de la CGT des dockers à Dunkerque, mais surtout le début de scissions familiales durables qui sont encore le quotidien dans des familles d’ouvriers de la cité de Jean Bart. Sur les docks, les ouvriers transpirent encore la réforme portuaire.


Aujourd’hui, les dockers de Dunkerque sont environ 350 salariés et 150 intérimaires (contre 1 300 intermittents en 1986). « Les partenaires sociaux considèrent que de nouveaux rapports sociaux doivent s’instaurer entre les employeurs et les travailleurs (…) Les salariés (sont) garants du calme social et de la fiabilité portuaire », est-il écrit en page 1 de l’accord de 1992. Résultat : pas une minute de grève de 1992 à aujourd’hui (2010).


Ce travail photo-journalistique, qui propose de raconter le quotidien socio-économique des dockers en 2010 et de le mettre en lumière avec l’histoire des luttes sociales des dockers, a fait l’objet d’une enquête journalistique, « Diviser pour mieux privatiser », publiée dans le journal Le Plan B n°22 (janvier-février 2010).

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