[Photos] Dunkerque 23 mars 2023, 9ème journée de manifestation contre la réforme des retraites

Jeudi 23 mars 2023. Dunkerque. Il est 15 heures. Au bout du bout du long cortège de manifestants, un camion de location trimballe un géant. C’est Roge (1), un docker qui porte sur son dos un sac de sucre, de sable, de céréales peut-être. Le regard vengeur, sûr de sa force, il avance mâchoire serrée, encadré par des jeunes dockers en chasuble orange portant une grande banderole avec l’inscription « Contre le passage en force du gouvernement. Respect du peuple français ». Sur leur dos, on lit l’inscription « Dockers Dunkerque ».


Les slogans ont changé mais pour la première fois en 31 ans, les dockers de Dunkerque ont fait grève (2). Le matin, dès 6h00, ils bloquaient plusieurs accès au port-ouest - la machine à cash du port, là où CMA-CGM gère les conteneurs. « Cinquante fourgons de police, t’imagines ? dit un docker. À six par camion, je te laisse calculer l’invasion policière… Nous, on était une juste une soixantaine… Aucun n’a enlevé son casque, ils étaient là pour le combat, mais ils avaient peur de nous. »  


J’ai suivi les dockers une partie du cortège. Ils alternaient entre émotion de rebattre le pavé de nouveau, sensation de faire quelque-chose d’historique, et volonté d’affronter les soldats de Macron, là, juste devant, casqués, suréquipés, en armes, prêts au combat. Longtemps que la cité du Nord n’avait pas connu une telle abondance policière. « Eux, ils ont une retraite à 57 ans, donc ils sont pas concernés ! Je comprends, tu peux pas faire CRS jusqu’à 64 ans. T’imagines si les flics avaient 64 ans, ils pourraient plus nous courser. Leur métier, il est physique. Mais pourquoi eux ne comprennent pas que nous, c’est pareil et qu’on a raison de se battre contre Macron ? » Deux ouvriers métallos lancent aux flics « Venez avec nous ». Repris par personne.


16 heures. Dès les premières courtoisies entre policiers et dockers, le secrétaire général du syndicat, Franck Gonsse (élu en bonne place sur la liste de droite aux dernières élections régionales dans les Hauts-de-France, bref) sort le mégaphone et enjoint ses troupes à quitter le guêpier. Qu’à cela ne tienne, les dockers veulent savoir ce qui se cache derrière ces casques (qu’ils ont sûrement déchargé quand ils sont arrivés en France par conteneur). Les troupes sont forcées d’avancer, la tête de la manifestation est déjà loin, déjà au Mynck, presque déjà à la place Jean Bart.

Un deuxième porte-mégaphone du syndicat hégémonique chez les dockers de la ville, la CNTPA, se met à hurler contre les dockers, qui iraient bien à la bagarre. « Mettez vous en rang putain, les dockers vous faites chier, vous arrêtez maintenant, on rejoint la manifestation maintenant ! » Tony (3) nous demande : « T’as peur ? T’as peur d’eux ? Si t’as peur, t’es battu. Nous on aime bien la bagarre. » Un de ses collègues s’avance vers un CRS, lui parle à trois centimètres de sa visière et avance, en levant les mains. Lutte symbolique pour un territoire occupé par une soixantaine de Robocops armés de Flashball et de grenades lacrymogènes. Les CRS défendent ardemment la Communauté urbaine de Dunkerque. Contre la montée des eaux ? 


Sur le parvis, un manifestant lance trois tulipes en direction de la rangée de flics, qui ripostent et embarquent l’impétrant en arrosant la foule d’un gaz si puissant qu’il nous a scotché les paupières pendant plusieurs longues minutes. Un autre ouvrier de la CGT est embarqué après avoir jeté un objet dangereux, style chewing-gum ou crayon de bois (4). Les deux ouvriers sont restés toute la nuit dans les geôles dunkerquoises. Deux autres dangereux marcheurs se feront embarquer pour avoir soit hurlé des noms d’oiseaux du coin, soit lancé des quolibets sur la rangée de casqués, digne d’une BD d’Uderzo. La République est sauve. « Victoire », avait dit Elisabeth à la sortie du parlement le jour de l’utilisation de l’article 49 ALINEA 3. Pas vu à Dunkerque depuis… 1992 ?

Voici quelques images.
 


1. En référence à Roger Gouvart, secrétaire du syndicat CGT de 1968 à 1983 ?


2. Lire à ce sujet l’enquête parue dans La Disparition en 2022.

3. Le prénom a été modifié.

4. Après 26 heures de garde à vue éprouvante (et l’apparition de nombreux hématomes sur le corps), Greg, un des militants CGT, a finalement été relâché. Il sera jugé le 10 mai pour avoir prétendument agressé pas moins de quatorze CRS armés comme des astronautes. 

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